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Déc 9, 2016

Leurs Paris : Adeline

ADELINE – JOAILLIÈRE, 26 ANS

« Bienvenue chez moi », me lance-t-elle avec un grand sourire qui n’a pas changé depuis la dernière fois que je l’ai vue. « Pour l’extérieur on ira à la Bibliothèque dans les marais, on ira manger un bout sur le chemin si tu veux ». Et tout en nous préparant du thé, avec sa voix douce pleine de tendresse, elle commence à me raconter.

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Pour moi la semaine du 13 novembre, ça a été une semaine assez dure… J’étais pas au top. Le vendredi soir, après mon boulot j’avais un dîner de famille et aussi une soirée déguisée chez mes meilleurs amis qui habitaient à République. Moi je n’y suis finalement pas allée, je voulais passer la soirée avec ma mère.
J’étais en train de manger quand un ami m’appelle et me demande :
 
– Adeline, t’es où ?
– Je suis chez ma mère, pourquoi, qu’est-ce qu’il y a ?
– Il y a des coups de feu, fais gaffe, si t’es chez ta mère, c’est bien, mais apparemment, il y a des attentats qui sont en cours.
 
Ça me fait un gros froid, je regarde ma mère et lui dis « il y a des gens qui sont en train de se faire tuer à Paris ». Tout de suite, on se demande où est mon frère. Je l’appelle tout de suite.
 
– T’es où ?
– À Mouffetard
– Fais gaffe, rentre dans le bar, n’en ressors pas, il y a des tireurs dans la ville, ils sont apparemment vers Bastille.
 
Et c’est comme ça que j’étais une des premières prévenues, parce qu’à la soirée déguisée, il y avait justement une fille qui avait entendu des coups de feu juste avant d’arriver.
 
J’ai passé une nuit blanche sur mon téléphone à m’assurer que tout le monde allait bien, je crois que j’ai envoyé des messages à quasiment tout mon répertoire. J’ai eu de la chance parce que j’ai perdu personne de mon côté. J’ai eu beaucoup de chances.
 
Je travaillais le lendemain, et avec mon patron et ma collègue on s’est réunis pour le déjeuner, et on s’était dits de partir à la campagne, faire un weekend repos. Je n’étais pas certaine de vouloir y aller, parce que je voulais aussi rester avec mes parents. Mais en prenant le métro le lendemain matin en voyant les têtes des gens… Tout le monde avait une tête affreuse. C’était l’énorme gueule de bois et tu voyais que personne n’avait dormi, c’était assez terrible comme ambiance. C’était hyper silencieux… C’était tellement étrange… Tu voyais des gens pleurer… C’était vraiment pesant. Et du coup après le déjeuner on est partis. On a finalement passé une journée et demi à parler d’autres choses, à jouer à des jeux vidéos, à faire des choses où tu ne réfléchis pas. Ça m’a fait énormément du bien d’avoir cette grosse coupure, parce que je pense que j’en avais réellement besoin. J’étais au bout… J’avais eu tout en même temps cette semaine-là … C’était vraiment un enchaînement terrible.
 
Quand je suis rentrée de la campagne en train, c’était pareil, il y avait une ambiance terrible dans le train… J’avais un manteau noir et un sac, et quand je passais devant les wagons, il y avait tout le monde qui se retournait, en panique totale. Dès qu’ils entendaient un bruit…  c’était assez effrayant. Et même les semaines qui ont suivi, l’ambiance était hyper pesante à Paris, parce que plus personne ne voulait sortir.

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Moi j’avais coupé les informations. J’écoutais France info le matin, avant de partir au boulot et après j’arrêtais. Parce que sinon tu voyais des choses qui te rendaient complètement fou. Savoir qui était qui, les détails, des photos sur Facebook, la tête du Bataclan… Je regarde pas à la télé à la base, et j’écoutais vraiment que la radio en me disant, « au moins j’ai juste les infos, sans images ». Parce qu’au final c’était les images qui étaient le plus dur.
 
Et j’ai pris pas mal de temps à pouvoir passer à côté du Bataclan, je faisais toujours des gros détours. Même là je fais des sortes de petits détours. Je ne voulais pas voir, je voulais absolument pas voir les fleurs.
C’est notre génération, nos générations qui ont été visées. C’était ça qui était hyper dur en fait. Au final, nous on s’est sentis tous vraiment touchés.
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Paris, après le 13 novembre, j’ai dû le réadopter. Parce que je ne m’y sentais plus bien. Parce que j’avais peur partout, et parce que pour moi c’était une grande ville où on pouvait être touchés facilement.
 
Je me sentais complètement dépossédée. Je ne me sentais plus chez moi. Je me sentais dans une ville complètement inconnue, un peu hostile et il m’a fallu du temps pour la réapprivoiser. Mais j’ai recommencé à reprendre des photos dans la rue, de bâtiments, j’ai commencé à lever le nez en marchant dans les rues, à regarder les devantures. Et je me suis rendu compte que c’est une ville qui reste quand même magnifique, que j’aime énormément. Et peu importe, même si le bâtiment d’en face explose avec une bombe, j’aimerai toujours cette ville et je ne partirai jamais. Parce que c’est une ville qui est incroyable et même les gens qui y vivent – il y a le cliché des Parisiens détestables, mais c’est pas vrai. J’ai rencontré mes voisins il y a quelques mois, on est montés sur leur toit tous ensemble. Paris c’est une ville de gens réellement accueillants et surtout des gens sur qui tu peux vraiment compter. Paris c’est une très très belle ville.
Je pense que je suis encore en train de réapprivoiser Paris, mais je m’y sens à nouveau bien.
Surtout depuis que j’ai emménagé ici. Maintenant je suis tout le temps sur Paris. J’y vis, j’y travaille, j’y sors, ma vie est à 100% parisienne, et je l’aime beaucoup.
 

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Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (4ème)

C’est un coin calme du marais, où l’on peut s’échapper à la foule. Sachant que j’habite à côté, c’est appréciable ! Les cours des hôtels particuliers du marais sont silencieuses et ont souvent une belle lumière, très apaisante.

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