13 novembre 2015. Deuxième attentat à Paris depuis le 9 janvier. Explosions dans le stade de France, fusillades, prise d’otage au Bataclan. Les événements s’enchaînent, les infos et les réactions avec. Le nombre de victimes augmente au cours de la nuit. Bilan, 128 morts. Un bilan lourd, comme l’ambiance du lendemain – et des semaines à venir. Et derrière ce simple chiffre qui en dit long, il y a des familles, des proches, des amis qui souffrent. On se sent impuissant, on se demande ce que l’on peut faire. Je me suis moi-même posée la question : que puis-je faire en tant que photographe ?
Je ne voulais pas photographier ces lieux chargés d’émotions, ces larmes de tristesse, ces visages endeuillés.
La vie reprend son cours doucement, Paris reprend ses couleurs avec l’arrivée du printemps, et les sourires de ses habitants retrouvent leur éclat. Certains y ont trouvé leur nouveau travail, certains concrétisent doucement leur projet et d’autres continuent à se construire dans cette ville qui n’a pas perdu ses lumières.
C’est en voyant ces femmes d’âges, de professions et d’origines diverses, dans leur quotidien que j’ai trouvé ma réponse.
Plutôt que de montrer Paris du 13 novembre, ses bougies et fleurs, ses visages disparus, je voulais montrer Paris vivant, ses rues et monuments, ses visages qui y donnent vie tous les jours.
C’est ainsi que j’ai passé une matinée ou un après-midi avec chacune d’entre elles, chez elles, où elles me racontent leur 13 novembre, mais surtout leur vie, celle qu’elles ont continué à mener depuis.
Elles étaient chez elle, avec leur famille, leurs amis, à l’étranger, avec leur mère, seule, au cinéma. Certaines ont eu de la chance, d’autres moins. Elles me racontent leur escapade en campagne, leur retour à Paris, leur discussion avec leurs enfants, leur week-end interminable à la recherche d’un ami porté disparu, leur sortie dominicale au Bataclan et à Place République. Certaines ont l’impression qu’on leur a enlevé leur Paris. Elles ne s’y sentaient plus bien. Certaines se surprenaient à avoir des réactions spontanées de protection envers leurs enfants, d’autres à dévisager les passants dans le métro.
Toutes avaient du mal à y croire, «c’était surréaliste» disent-elles. Mais toutes ont continué à vivre, à sortir, à aller en terrasse, à aller à des concerts, à fêter leurs anniversaires, à préparer leur mariage, à «continuer à profiter». Parce qu’il le fallait, parce que c’est «le propre de l’être humain d’avancer», «parce qu’il faut le faire tant que c’est encore possible». Si certaines ont le projet d’aller ailleurs un jour, d’autres se voient construire leur vie ici. Certaines y ont d’ailleurs bâti leur famille et leur carrière. C’est peut-être ça l’être humain, me dis-je en écoutant leur histoire, de revenir aux fondamentaux quand il se retrouve dans un état de choc. De faire une coupure, de reprendre sa vie en main, de prendre conscience de la vie, de sa valeur, de sa fragilité mais aussi de sa force, de sa beauté. De pleurer, de se relever, de sourire. Penser aux autres, les rassurer, les appeler, leur dire qu’on les aime.
Je leur ai demandé de m’amener dans des lieux de cette ville qu’elles affectionnent particulièrement. Certaines m’ont amenée en métro, d’autres me parlaient au volant, certaines en empruntant leur chemin quotidien et d’autres en déambulant tout en m’invitant à leur restaurant fétiche. Elles me racontent des anecdotes, des souvenirs, me montrent des points de vue qu’elles seules ont découverts. Je découvre leur Paris à elle. Et c’est beau. Plus beau que n’importe quel itinéraire recommandé par les guides touristiques. Les lieux prennent une toute autre dimension, différente des explications datées, chiffrées, cantonnées par ces guides. Ils prennent une voix humaine, ils me content scènes d’amour, ballades en famille, escapades entre amis, recueillements, virées solitaires. Je les imagine passer ici et là, s’émerveiller devant la Seine, les couchers de soleil sur Montmartre, dessiner sous les feuilles tropicales. Prendre le soleil, un cocktail, ou des photos. Elles me partagent leur bout de Paris, ce pourquoi elles sont là.
C’est ce Paris que je voulais montrer. Pas celui vu à la télévision, il y a 7 mois, mais celui qu’on connaît tous les jours, avec «cette espèce d’ambiance un peu paniquée, avec beaucoup de vitesse», où on «aime courir dans les métros, où on se bouscule.»
«Cette ville qui est pleine de vie finalement».
Leur bout de Paris à elles. Leur vie.
Leur Paris à elles.
Adeline – Joaillière, 26 ans
En recommençant à prendre des photos, dans les rues, des bâtiments, je recommençais à lever le nez, à regarder les devantures et je me suis rendue compte que c’est une ville qui reste magnifique et que j’aime énormément. Et peu importe, même si le bâtiment d’en face explose avec une bombe, j’aimerai toujours cette ville et je ne partirai jamais.
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (4ème)
C’est un coin calme du marais, où l’on peut s’échapper à la foule. Sachant que j’habite à côté, c’est appréciable ! Les cours des hôtels particuliers du marais sont silencieuses et ont souvent une belle lumière, très apaisante.
Camille – Graphiste, 25 ans
On a sans doute tendance à plus apprécier les petits instants, on sait que c’est une chose à laquelle on doit s’habituer. Il faut aller de l’avant, ne pas se laisser freiner par la terreur. Au final j’arrive presque à apprécier les broutilles qui me nuisent, ça permet de se rendre compte que l’on avance.
Le Klay (2ème)
C’est un peu mon havre de paix ici. Un des seuls endroits où j’aime bien venir après mon boulot
Emma – Étudiant M1 en Droit Social
Pendant tout le weekend j’ai été vraiment sous le choc, un peu anesthésiée et c’est à partir de lundi où j’ai enfin réalisé et je me suis mise à pleurer. C’était juste une énorme tristesse pour tous ces gens qui ont été victimes.
Quai de la Seine (7ème)
À chaque fois que je prends ce chemin pour aller à la Sorbonne, je reste émerveillée, je ne m’en lasse jamais.
Julie – Freelance Graphiste Illustratrice
On a été touchés parce qu’on fait ce dont on a envie et pour notre liberté. Repartir dans l’autre sens et couper notre liberté serait pour moi une façon de dire qu’ils ont gagné.
Jardin des Serres d’Auteuil (16ème)
Une fois le lieu découvert, c’est un peu devenu mon coup de coeur dans Paris. Une multitude de plantes tropicales, les oiseaux, les carpes, cette lumière magique quand le soleil traverse la verrière… C’est calme, chaud et coloré comme endroit. Je pense que je cherche toujours un peu de nature dans Paris et ce petit coin en apporte beaucoup et fait voyager.
Kanèle – Chargée de communication externe à l’INA, 33 ans
La vie ne tient qu’à un fil., tu peux mourir en traversant la route, tu peux mourir du jour au lendemain d’un accident cardiaque. Et c’est pas parce que tu sais que tu vas mourir qu’il faut rester cloîtré chez toi. Je pense qu’il faut profiter de la vie, justement quand tu peux le faire encore, quand t’as la possibilité de le faire, la santé, les moyens.
Rue de la Fontaine au Roi (11ème)
On n’a pas vraiment vécu encore ensemble, mais c’était quand-même notre premier cocon.
Lenaik – Business Unit en Lead Industrie Pharmaceutique, 44 ans
Il y a eu un choc émotionnel collectif où les gens ont pris conscience que le risque zéro n’existait pas. Ce qu’on a dû digérer c’est que la vie peut s’arrêter du jour au lendemain, que c’est le hasard, qu’on est au mauvais moment, au mauvais endroit. Ça fait travailler l’inconscient du danger, de la mort de la perte d’un être cher. Ça, ça fait travailler.
Pont de Bir-Hakeim (15ème)
J’aime beaucoup l’esthétique de ce pont, sa perspective, et je le trouve très représentatif de Paris. Il est moderne, et très majestueux.
Marie – Junior Account Manager, 25 ans
On sait qu’à un moment ça va revenir, on ne sait pas où, on ne sait pas quand, mais finalement aujourd’hui, 7 mois après, la majorité des gens autour de moi n’ont pas peur. Pas parce qu’on est courageux, mais juste parce qu’on a pris conscience que ce sont des choses qui peuvent se reproduire.
Les Deux Plateaux «Colonnes de Buren» (1er)
J’ai choisi les Colonnes de Buren car j’y cours très régulièrement. C’est un lieu assez cliché, très fréquenté par les touristes mais qui est important pour moi. Le lieu est changeant, différent selon l’heure et le jour. Le soir en hiver, il n’y a que des parisiens. Je connaissais l’endroit avant d’arriver à paris, et il me faisait rêver, représentant cette vie parisienne que je voulais mener.
Myriam – Chef de produit, 29 ans
J’avais l’impression qu’on m’a pris un peu mon Paris que je connais. Parce que pour moi, Paris représentait quelque chose que j’ai pas connu chez moi, c’est-à-dire d’être rassurée. D’être libre en toute confiance. J’ai connu les attentats, les voitures piégées, la guerre mais c’était au Liban et ça, ça pouvait pas me suivre ici. Pour moi c’était complètement déconnecté. Et ça devait le rester.
Cathédrale de Notre-Dame (4ème)
Je n’ai jamais ressenti ça dans un lieu de culte. Dans cet endroit, même s’il y a des gens qui parlent et des gens qui prennent des photos et que ça me saôule, j’arrive à sentir un silence et un paix extraordinaire. C’est majestueux comme endroit.
Noémie – Directrice Arstistique, 29 ans
Et c’était la même larme d’émotion le jour où il y avait le rassemblement après Charlie. C’était pas la tristesse, mais c’était l’émotion de voir que les gens se rassemblaient contre tout ce genre de choses, pour montrer qu’on est unis, qu’on est un peuple et qu’on s’aime et qu’on a envie de faire des choses ensemble.
Butte Bergeyre (19ème)
J’aime bien l’idée de l’immensité, de se perdre, de déambuler dans les villes parce que j’ai toujours aimé marcher et particulièrement en ville. C’est un énorme territoire à explorer. J’aime bien l’idée des endroits cachés de Paris.