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Mai 10, 2017

Leurs Paris : Emma

Emma -Étudiante en M2 droit social, 22 ans

Emma est une des personnes ayant répondu à l’annonce de mon projet via Twitter. Après quelques échanges, je la rencontre enfin, durant un après-midi ensoleillé qui sentait déjà un peu l’été. Avec une voix limpide et articulée, Emma me souhaite la bienvenue, sourire aux lèvres, cigarette à la main. De questions en réponses, elle me raconte à son tour son 13 novembre.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Emma, je suis étudiante en droit, en Master 1 de droit social à la Sorbonne. Je suis née à Paris, sur l’île de la cité, en plein cœur de Paris, puis j’ai vécu en banlieue jusqu’à mes 6 ans. Ensuite j’ai déménagé dans le sud de la France, en Provence, au bord de la mer. J’ai donc vécu 15-16 ans dans le sud, mais j’ai toujours eu pour projet de revenir à Paris, pour mes études et pour y travailler. Du coup il y a deux ans, quand j’ai eu cette possibilité de déménager pour venir, je l’ai fait.

Pourquoi Paris ?

Pourquoi Paris, parce que j’y suis née, et j’y venais régulièrement pour voir mes amis d’enfance, et ma mère adore venir faire des expos, on se faisait souvent des weekends donc je suis restée habituée à cette ville. Et puis je ne sais pas, c’est vrai que bon, c’est la capitale, c’est là que je suis née, et professionnellement c’était intéressant de revenir, et puis même après, pour m’épanouir. C’est vrai que dans le sud, j’habitais avec mes parents dans une petite ville et pour mes études deux ans Aix-en-Provence, c’est chouette, c’est une ville étudiante, mais c’est assez petit, il n’y a pas non plus un million de choses à faire – même si le sud de la France c’est assez agréable. Et l’attrait de la Sorbonne qui est quand-même une grande université y a joué aussi.

Peux-me raconter le 13 novembre ?

Le 13 novembre, j’étais chez moi, je ne sais plus ce que je faisais, j’étais en train de checker Twitter, et là, j’ai vu «explosion au stade de la France», «fusillade dans le 11ème» etc. J’ai eu un petit moment de bug, je me disais « qu’est-ce qui est en train de se passer ? » Et tout de suite, j’ai eu un grand moment de stress parce que ma mère était dans le train pour arriver à Paris. Elle est arrivée à la gare une demi-heure après le début des attaques, et c’est vrai que c’était assez stressant. Tout ce qu’on savait c’est qu’il y avait des fous dangereux, armés dans Paris, on ne savait pas tellement combien ils étaient, où ils étaient, qu’est-ce qu’il se passait… Et c’est vrai que c’était vraiment un gros moment de stress quand elle est arrivée à la gare.

Tout de suite je l’ai appelée, pour la prévenir et lui dire ce qu’il se passait dans Paris, que c’était un peu le bazar… Quand elle est arrivée à la gare, il n’y avait plus aucun taxi, aucun uber pour rentrer, c’était désert. Elle a dû prendre le métro pour rentrer. Elle-même m’a dit que c’était les deux stations les plus longues de sa vie. Quand elle est arrivée, on s’est fait un énorme câlin pour que la pression retombe, on s’est posées, et on a mis les infos et je continuais à checker Twitter en permanence. On a passé toute la soirée abasourdies. On a dû rester comme ça jusqu’à 2-3h du matin, et ce qui était assez angoissant, c’est que comme il y a la préfecture de police et l’hôpital l’Hôtel Dieu qui sont pas très loin de chez moi, j’avais en permanence, en permanence, en permanence, les bruits de sirène, qui passaient juste là. C’était assez anxiogène. On a fini par s’endormir assez tard, et le samedi on est restées à la maison. On est juste sorties le soir pour aller s’acheter à manger. Et le dimanche, on est allées poser des bougies et des fleurs au Bataclan et ensuite à République.

J’avais en permanence, en permanence, en permanence, les bruits de sirène, qui passaient juste là. C’était assez anxiogène.

On a vraiment été enfermées toute la journée le samedi, devant les infos, on n’avait pas trop le coeur à faire autre chose…  Et puis dimanche, ma mère était assez angoissée à l’idée de sortir et donc au début elle n’était pas trop pour. Mais moi je lui ai dit « Non, il faut qu’on sorte, il faut qu’on aille prendre l’air. » En plus j’avais une amie qui avait été toute seule tout le vendredi et tout le samedi enfermée chez elle. Je lui ai dit « écoute, tu vas pas rester toute seule, tu vas venir avec nous ». Et du coup, on est allées toutes les trois au Bataclan et puis à République. Il y avait effectivement un côté stressant, le fait qu’il y ait beaucoup de monde dehors, et on se dit « on ne sait jamais ce qui peut se passer », mais en fait au final pour ma part, ça m’a fait du bien, d’être au milieu des gens. Et puis, en revenant de République jusqu’à chez moi à pieds, dans la rue il y avait énormément de monde, il y avait même des gens avec leurs enfants, on voyait des poussettes, des enfants en train de jouer au Carreau du temple… C’était au final assez réconfortant de voir tout ce monde dehors.

Pendant tout le weekend, j’ai vraiment été sous le choc, mais j’ai pas versé une larme… c’était assez bizarre, la sensation, comme si j’étais un peu anesthésiée… J’étais vraiment hyper choquée, mais le lundi, d’un coup, il y a un moment où j’ai eu comme une espèce de sursaut où j’ai enfin réalisé, et c’est là où je me suis mise à pleurer.  Je me suis mise à pleurer parce que c’était juste une énorme tristesse pour tous les gens qui ont été tués. Ça a été vraiment un moment super bizarre, et je suis restée très morose toute l’après-midi.

A partir de mardi j’avais cours, donc il fallait que je ressorte. Ma mère est repartie, donc je me suis retrouvée toute seule et ça a pas été simple. Avec les copains de la fac on était tous très sous le choc, mais en même temps, ça faisait du bien de se retrouver. Et les profs étaient assez réconfortants, ils ont tous eu un petit mot, pour dire qu’ils étaient heureux de nous savoir tous là, qu’on pouvait leur parler si on avait besoin, qu’ils étaient là pour nous.

Et les profs étaient assez réconfortants, ils ont tous eu un petit mot, pour dire qu’ils étaient heureux de nous savoir tous là, qu’on pouvait leur parler si on avait besoin, qu’ils étaient là pour nous.

Après le 13 novembre, pendant 2 semaines peut-être, ça a été hyper difficile à vivre, à gérer. Je trouvais que c’était très pesant, j’avais l’impression qu’on était tous à l’affut, dans la rue, dans les transports, c’était assez abominable. Les quelques fois où j’ai pris les transports en commun pendant ces 2 semaines, on sentait que tous les gens s’épiaient. C’était vraiment étrange comme sensation. Les gens s’observaient, c’était discret et à la fois pas tellement.  Moi aussi j’ai fait comme tout le monde, tu rentres dans le métro ou dans le bus et tu regardes s’il n’y pas quelqu’un avec un gros sac ou qui a l’air bizarre…  Et dès qu’il y avait un gros bruit dans la rue, tout de suite on se tournait, en sursaut…  On était hyper attentifs à ce qui pouvait se passer autour. Moi par exemple, dans la rue ça résonne énormément, dès qu’une grosse porte en bois claquait, tout de suite un sursaut, alors que d’habitude j’aurais pas fait attention. Pareil, les bruits des sirènes, moi dès qu’il y avait un bruit de sirène, c’était hyper angoissant et c’est bête, mais dès que j’en entendais j’avais le réflexe de regarder sur Twitter s’il se passait pas quelque chose.

Pendant ces deux semaines, même peut-être un bon mois, c’est vrai que les petits trucs qui peuvent nous arriver nous touchaient moins que d’habitude. On avait plus de recul par rapport à des petites choses qui normalement peuvent nous tracasser, nous déranger.

Je crois que si on n’est pas à Paris, on ne peut pas se rendre compte comment la vie a repris. Pour ma part, je trouve que la sécurité a été beaucoup renforcée. On voit beaucoup plus de patrouilles, de police – même si dans le marais il y a toujours eu un peu de militaires depuis les attaques antisémites à Bruxelles, mais je trouve qu’il y en a plus qu’avant. La sécurité est globalement renforcée. Pour les parisiens, forcément la vie a continué, on a repris un peu notre rythme de vie, au fur et à mesure, les petits tracas perso reviennent. Je pense qu’on n’a pas oublié, et après c’est aussi salvateur de pas rester bloquer sur cet événement, de pas être morose en permanence. C’est extrêmement triste pour toutes les personnes qui sont parties à ce moment-là, qui ont été assassinées, mais je pense que c’est dans la nature humaine de continuer. Pas d‘oublier, mais d’avancer.

Je pense que c’est dans la nature humaine de continuer. Pas d‘oublier, mais d’avancer.

Si je dois parler d’un avant-après, moi c’est vrai que les sirènes, c’est peut-être LE truc qui reste le plus, du 13 novembre. D’avoir entendu des sirènes en permanence pendant des heures…  Vraiment, ça ne s’arrêtait pas et ça m’a marquée, et maintenant dès que j’entends une sirène… oui, ça me rend pas très bien.

Est-ce que je vois une différence ? Oui, je vois une différence. Je n’ai jamais trop aimé les lieux où il y a beaucoup de monde, je ne suis pas agoraphobe, mais c’est pas quelque chose qui me rassure. C’est vrai que maintenant, dès que je passe par Châtelet par exemple je suis un peu stressée, j’évite. Les endroits où il y a beaucoup de monde sont plus anxiogènes, et il y a des moments comme ça, où il se passe rien de spécial et je me dis « et si jamais là, il se passe quelque chose, qu’est-ce que tu fais, tu vas où ?». Par exemple, l’autre jour j’étais en train de boire un verre à Belleville, en terrasse, il y a ce gros boulevard, et j’ai pensé « et là s’il y a un fou qui passe en voiture avec une mitraillette, qu’est-ce qui se passe ? ».  C’est des sortes de projection, à un instant T, tu sais pas d’où ça vient mais tu te dis « et si ? »

C’est des sortes de projection, à un instant T, tu sais pas d’où ça vient mais tu te dis « et si ? »

Je pense qu’on n’a pas tant changé nos habitudes de vie, mais on est peut-être plus sur nos gardes à certains moments.

Mais Paris est toujours aussi belle qu’avant. Il faut continuer à venir, parce que de toute façon, je pense qu’aujourd’hui, n’importe où en Europe, il y a la possibilité que ça se passe. Pas plus ici que dans une autre ville, alors il ne faut pas se priver du plaisir de venir la visiter. Paris est une ville magnifique, et il y a tellement de choses à y voir… !

Quai de la Seine (7ème)

Pourquoi les quais ? Ils représentent pour moi l’insouciance des parisiens : s’y balader au soleil un dimanche, faire un un pique-nique entre amis un soir d’été ou partager une bouteille de vin avec la personne qui nous plaît, au bord de l’eau, loin du bruit des voitures et de l’agitation.

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Leurs Paris, le projet

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